En Limousin, la fin des trains du quotidien ?

Au long des rails du Limousin, la colère gronde après le Conseil Régional de Nouvelle Aquitaine. Si la ligne Paris - Orléans - Limoges - Toulouse, qui le traverse du nord au sud semble promise à un nouvel avenir, les train neufs "Oxygène", promis pour 2023, puis 2025, devraient arriver d’ici 2027 ou 28, on est plus à ça près. Mais pour le reste du réseau TER tout va de travers ! Ces lignes dites "de desserte fine des territoires", autrement dit, dont l’entretien est intégralement transféré aux régions depuis un vote au Parlement national en 2014, vont fermer les unes après les autres !



Accessibles aux personnes à mobilité réduite, équipés de toilettes pour les personnes en fauteuil roulant,
les autorails 73500, rois des lignes limousines depuis 30 ans (Ch Turgis)



Pour Limoges - Angoulême c’est déjà fait, d’abord mise à vitesse réduite à 0 km/h durant cinq ans, manière de dire qu’on ne l’interrompait pas abruptement, une fois le délai dépassé, la ligne a bel et bien été fermée à tout trafic.


Le cas de la ligne Limoges - Ussel ne manque pas d’inquiéter. Équipée d’un système de signalisation prototypique, qui n’a jamais été développé ailleurs, se pose le problème de sa maintenance pratiquement impossible désormais. Rien de très immédiat, mais il faudra bien s’en préoccuper.



En Nouvelle Aquitaine mieux vaut-être Girondin que Haut-Viennois


"Le limousin est abandonné par la région Nouvelle Aquitaine", c’est le constat amer fait par les membres de l’association Bopsyl à Cousac-Bonneval, dans le département de la Haute-Vienne. L’énumération des renoncements récents de la région est impressionnante. Fermée la ligne d’Angoulême à Limoges, fermée donc la ligne de Brive à Limoges via Saint-Yriex-la-Perche, et en août prochain ce sera le tour de celle qui relie Guéret à Felletin ! Dans une région dont le président passerait pour être un pro-ferroviaire, son inaction, dès qu’il s’agit du Limousin est incompréhensible. Pire, elle passe pour du mépris de classe !


"On nous avait promis une région qui dynamise le territoire et voilà le résultat", constatent désabusés les conseillers régionaux écologistes Jean-Louis Pagès et Amandine Dewaele dans les colonnes du Populaire. Tous deux ont fait les comptes, "la région Nouvelle Aquitaine dépense 450 € par habitant en Gironde, mais 40 € en Creuse" ! En Limousin, ils font tous deux partie des rares élus qui protestent contre le mauvais sort réservé aux rails régionaux !



Le Limousin pourtant au cœur du réseau national durant la seconde guerre mondiale


Au moment où, en France, on commémore le 80e anniversaire des débarquements, de la Libération et de la Victoire, en soulignant l’engagement inestimable des cheminots Limousins dans la guerre contre l’occupant nazi, on se demande bien comment on a pu en arriver là.


Car d’une région placée hier au cœur du réseau ferroviaire national, on est arrivé en moins de 80 ans à un réseau peau de chagrin. La ligne Bordeaux - Lyon a disparu depuis belle lurette, et bien encore avant cette célèbre transversale, c’était le Capitole. Le train emblématique de la SNCF qui mettait Limoges à trois heures de Paris à 200 km/h. Et que dire de l’indignité faite aux voies de la ligne Paris - Orléans - Limoges - Toulouse, ou du peu d’estime pour le chef d’œuvre Art Déco, classé Monument Historique, qu’est la gare des Bénédictins, rabaissée au rang de gare TER ?






Un sentiment de déclassement bien réel


Sur la ligne de Guéret à Felletin, promise à la fermeture fin août prochain, François Landry anime le groupe Facebook de "La p'tite Ligne", il garde l’espoir que non, cette fermeture mille fois annoncée, n’est pas encore pour cette année : "Certes on roule sur des rails à double champignon qui datent de l’entre deux guerres, mais on a changé des traverses par milliers, refait des garde-corps d’aqueduc, des barrières de passages à niveau". 

La ligne a été fermée durant dix jours en mai 2023, pour des défauts de géométrie faisant suite à des travaux défectueux effectués par un sous-traitant. À la SNCF on désigne ces travaux comme, "nécessaires au maintient des performances et des circulations". Soit 70 km/h, pas plus.

Une pétition en ligne, contre la fermeture annoncée de la ligne de Felletin a été lancée en janvier dernier, 25 000 personnes lui ont déjà apporté leur soutien. https://www.change.org/p/touche-pas-%C3%A0-ma-p-tite-ligne


À la CGT on se sent bien seul à vouloir défendre en interne un outil de transport dont tout le monde loue l’efficacité environnementale par ailleurs. "Le train c’est bien, c’est moderne, c’est nécessaire et écolo, mais ailleurs, pas en Limousin", lâche un cheminot dépité, qui a souhaité garder l’anonymat.


À Busseau-sur-Creuse, Yann Desenfant secrétaire CGT milite pour le maintien de la ligne. Il alerte sans relâche les élus lors des comités de ligne ouverts au public depuis plusieurs années. En vain ! Il se désole des décisions prises par la SNCF, en accord avec la région, pour ne faire arriver le premier train, le lundi par exemple, que vers 15h00. "La région a investit dans le Lycée des Métiers du Bâtiment à Felletin, mais les lycéens pensionnaires ne peuvent y venir par le train… alors la région Nouvelle Aquitaine fait rouler des cars à la place". Et d’alimenter ce sentiment de déclassement qui fait le lit des extrêmes.



Le car, instrument de la spirale infernale


Le car ! Voilà bien encore une incohérence des politiques, le trajet Felletin - Limoges ne passe pas par les mêmes itinéraires, mais la durée est équivalente, deux heures. Pour ce qui est du prix, 2,50 euros pour le car, 27 euros par le train…

La recette est connue, et dénoncée depuis de nombreuses années par la Fnaut (Fédération nationale des usagers des transports), augmentation des temps de parcours, horaires dissuasifs, instauration de correspondances là où l’itinéraire était direct…

Et que dire de ce car, sans trottoirs aménagés aux arrêts, et aux véhicules inadaptés aux personnes à mobilité réduite ? Alors que l’autorail 73500 lui, est parfaitement adapté, et depuis bientôt trente ans.


Au Conseil Régional on invoque la faiblesse de la fréquentation. Les chiffres, quand on en trouve sur les sites de données en ligne des gares, seulement 882 voyageurs à Felletin en 2023 ! "La SNCF ne compte que les achats de billets sur son application en ligne mais ne tient aucun compte des abonnements, nous les utilisateurs réguliers du train, nous n’avons jamais vu de comptages sur les quais ou à bord des trains" s’insurge François Landry.


Et il rapelle comment, il a fallu engager une partie de bras de fer avec la SNCF pour que les horaires des trains coïncident avec les besoins de la population. "Le premier train du matin quittait Felletin à 11h30, évitant ainsi un découcher du personnel de conduite à Felletin. Désormais le premier train quitte la petite gare à 6h24, tôt, mais tout de même plus pratique pour se rendre au travail, au lycée ou à la FAC à Limoges" !






TGV contre TER, la vieille rengaine


La SNCF avance pour cette ligne la nécessité de rénover les voûtes de deux tunnels. Non pas qu’ils soient en mauvais état, mais bien parce que leur parements sont en brique, et que la norme désormais, ce sont des coques en béton. Alors, comme il conviendrait de profiter de ce chantier pour renouveler les rails dans le même temps, en procédant à une fermeture temporaire, et que personne ne veut s’engager sur de tels travaux, autant fermer la ligne, tout de suite !


Benoît Lematelot, secrétaire général CGT cheminots à Limoges pour SNCF réseau, reconnait que le montant du chantier sera nécessairement élevé, "sans doute bien plus d’un million d’euros du kilomètre. Les financeurs sont au courant depuis longtemps, mais le président du conseil régional de Nouvelle Aquitaine préfère dépenser l’argent du contribuable dans une LGV Bordeaux Toulouse, ou dans un hypothétique Telli. Un train automatique dont on ne saura que faire s’il voit le jour, puisqu’on n’aura plus les rails" ! Coût annoncé 70 à 80 millions d’euros pour ce qui constitue un gadget pour nombre de spécialistes du ferroviaire.


Le syndicaliste s’inquiète pour son outil de travail, "il faut mettre la pression sur les politiques creusois, les habitants d’Ussel vont plus facilement au CHU à Clermont-Ferrand (région Auvergne) avec leur voiture personnelle, qu’à celui de Limoges par le train".

Et d’espérer que les mobilisations à venir permettrons au moins de mettre la petite ligne de Felletin à 10 km/h, "pas pour y faire passer des TER, mais au moins permettre le passage de quelques trains d’entretien, pour le jour où on aura la volonté de la remettre en état. Si non, se sera vraiment la fin".


Christophe Turgis 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Fin mars 2025, de Cherbourg à Bayonne les camions prendront le train

Paris - Cherbourg, vers une interruption totale du trafic durant plusieurs mois en 2028 ou 29