Fin mars 2025, de Cherbourg à Bayonne les camions prendront le train

La voie est libre pour le départ de la route roulante entre le port transmanche de Cherbourg et le terminal routier de Mouguerre, près de Bayonne, non loin de la frontière espagnole. C’est la compagnie française Britanny Ferries qui va transporter par le train les camions qui traversent la Manche à bord de ses navires. Un aller retour trois fois par semaine, avec 42 camions pour commencer, et ce pari : faire transiter depuis la Grande Bretagne et l’Irlande, vers la péninsule ibérique, plus de 30 000 camions chaque année. Soit 30 000 tonnes de CO2 en moins selon Ports de Normandie qui réalise les installations fixes.

La route roulante mise en service par Britanny Ferries à Cherbourg transportera 42 camions par le train en saut de nuit jusqu'à Bayonne (SNCF Réseau)

Les wagons conçus par l’entreprise Lohr Industries, destinés au chargement de camions routiers standards, sont livrés, la société Captrain, filiale de la SNCF tractera les convois, et la voie entre le port et la ligne de Cherbourg à Paris, pratiquement abandonnée depuis 20 ans, remise à niveau.


Le coup de sifflet pour le départ du premier train est attendu fin mars 2025. Il en aura fallu du temps entre l’idée de la Brittany Ferries de faire poursuivre le voyage des camions de ses clients par le train plutôt que par la route, et sa concrétisation. Il a fallu décider du système de chargement, s’assurer que le réseau ferré permet de passer sous les ponts et de traverser les tunnels, trouver l’entreprise qui tirera les wagons sur 1000 km.



Des camions sur les trains, pas si simple !


Le chargement des camions sur les trains ne va pas de soi. On pourrait penser qu’il suffit simplement de les faire monter dessus comme on le fait au USA, sauf que, en Europe, ça coince sous les ponts et dans les tunnels. De surcroît les réseaux européens sont électrifiés et le risque de court-circuit entre les caténaires et des camions trop proches toujours possible. Un camion sur un wagon standard "engage le gabarit", c’est à dire ce qui permet en hauteur et en largeur de passer sous les obstacles.


La route roulante Suisse et Autrichienne, un système simple au chargement, mais relativement lent et à la maintenance couteuse (ÖBB)

Les Suisses et les Autrichiens qui ont "inventé" la Rollen Strasse, la route roulante, ont imaginé des wagons avec des petites roues pour abaisser leur niveau de chargement. Solution qui nécessite de très hauts niveaux de maintenance, ces petites roues sont fragiles, nécessitent des aiguillages spéciaux et ne permettent guère de dépasser 80 km/h. Ce qui suffit pour traverser la contrainte que constituent les Alpes, n’est pas reproductible sur le réseau ferré français où des trains de marchandises circulent à 100 ou 120 km/h au milieu de trains de voyageurs qui eux, roulent à 160 km/h en général, et jusqu’à 220 km/h sur quelques lignes.


En 1958, à la SNCF une remorque chargée dans un wagon Kangourou (coll Eric Koch)

Il faut donc pouvoir charger les camions dans des wagons "poches". Autrefois appelés "wagons kangourous"… c’était joli. Trois solutions, par le dessus avec des ponts roulants et des pinces, par roulage du camion en parallèle au train et translation de la poche, par roulage et pivotement en épi de la poche.


C’est le système Modalohr mis au point depuis plusieurs années par Lohr Industrie pour le passage du tunnel du Fréjus entre la France et l’Italie qui a été retenu. Ce système en épi est largement éprouvé et ne nécessite aucune mise au point. Un wagon est constitué de deux "poches" sur trois bogies, un train est constitué de 21 wagons ou 42 camions. Pourquoi 24 wagons ? Parce que 750 mètres, c’est la longueur maximale des trains en Europe.


Le terminal Modalohr de Bettembourg au Luxembourg (Modalohr)



Mise au gabarit des lignes de SNCF Réseau


Pour faire passer ce train de fret nouveau, il a fallu mettre au gabarit, c’est a dire faire en sorte que les trains et leur chargement passent sous les ponts et dans les tunnels. SNCF Réseau a donc adapté la ligne Caen - Le Mans - Tours en réalisant des travaux sous trois ponts routiers, quatre tunnels seront adaptés dans le futur pour permettre le passage de trains venant de Dourges dans le Pas-de-Calais allant également vers la frontière Espagnole. Et à beaucoup plus long terme, lorsque qu’une ligne nouvelle à écartement international sera construite, les trains pourront rallier Vittoria en Espagne. 



Le financement


La construction du terminal de ferroutage situé dans les emprises du port de Cherbourg été financé par Ports de Normandie (près de 13 M€) et Cherbourg Port (4,5 M€).

Les près de 13 M€ consacrés aux aménagements portuaires pour la mise en place du ferroutage ont été financés par :

Région Normandie : 2,9 M€

Département de la Manche : 1 M€

Communauté d’agglomération du Cotentin : 341 K€

Ports de Normandie : 7,2 M€

Union Européenne : 1,4 M€


Par ailleurs, 3,4 M€ ont été investis par l’État (1 M€) et Ports de Normandie (2,4 M€) pour rénover et sécuriser la voie reliant la gare au port.



Cinq lignes d’autoroutes ferroviaires utilisant le Modalohr en service :


Autostrada Ferroviaria Alpina sur 175 km entre Chambéry (Aiton) et Turin (Orbassano) en Italie,

Lorry-Rail sur 1040 km entre Luxembourg (Bettembourg) et Perpignan (Le Boulou),

VIIA  sur 1470 km entre Calais et Perpignan (Le Boulou),

VIIA sur 1050 km entre Calais et Turin (Orbassano),

VIIA sur 800 km entre le Port de Sète et Calais,

CFL  sur 1000 km entre Luxembourg (Bettembourg) et Poznan (Swarzedz) en Pologne


Christophe Turgis

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